Christian Estrosi, Maire de Nice, a tenu à rendre un dernier hommage à Francine Gag, vendredi 2 juillet en la cathédrale Sainte-Réparate :
Francine,
Vous êtes de retour chez vous. Vous êtes là, parmi nous, au cœur de ce babazouk qui vous a vue naître, juste un peu plus haut, vers Sainte-Claire.A dire vrai, vous ne nous avez jamais quittés, et vous ne nous quitterez pas.
Le vieux Nice, c’était vous, c’était votre vie. Vos parents en étaient des figures, pas des héros. Des figures simples de bon sens, à l’image de ce peuple niçois que vous incarniez si bien, gouailleur, excessif dans le rire ou les larmes, parfois exubérant mais ô combien généreux.
Oui Francine, vous avez incarné l’âme niçoise sans le savoir, tout simplement en étant là, dans votre quartier, en y jouant, en y grandissant. Puis un jour, le hasard et l’amour ont voulu que vous la portiez haut notre identité niçoise, comme notre bel étendard blanc. Vous avez rencontré Pierre-Louis, et Francis a compris tout ce qu’il y avait de vrai en vous. Il vous a confié une de ses plus précieuses créations, l’accomplissement d’un rêve, Nice la Belle.
Ce groupe folklorique, il l’avait fondé en 1956 pour illustrer toute la richesse du patrimoine immatériel niçois, la danse traditionnelle et ses composantes. Avec son vieil ami l’imagier Mossa, avec Paul Durozoi et avec le grand musicien Emile Delpierre, ils ont su reconstituer avec fidélité, au prix d’un travail délicat, les costumes, les danses et le répertoire des chansons d’autrefois. C’est dire combien le grand homme vous estimait lorsqu’il vous en a donné les rênes.
Pendant quarante ans, ou presque, vous les avez tenues, ces rênes. Sous tous les cieux du monde, Nice la Belle a brandi le drapeau de Nice. Dans toutes nos fêtes traditionnelles, Nice la Belle a transmis à tous les rythmes et les couleurs de notre tradition. Et aujourd’hui, ils sont tous là. Toux ceux que vous avez connus, formés, entraînés, soutenus, et qui vous aiment et vous estiment.
Mais Nice la Belle, ce n’est pas que le respect des coutumes et des traditions locales, ce sont aussi des vies. Celles de tous ceux qui s’y sont impliqués sous votre direction. Et puis la vôtre. Toute une vie consacrée à une œuvre, c’est une tradition dans la famille Gag : Francis d’abord, toi Pierre-Louis, vous Francine, puis Jean-Luc, votre fils, et maintenant les petits-enfants.
Toute votre vie, elle est là, dans ce groupe d’hommes et de femmes, dans les valeurs qu’ils portent, dans la fierté niçoise qu’ils arborent, en bandoulière, sur leur cœur. Toute votre vie, vous l’avez consumée pour le groupe.
En mars dernier, vous étiez encore aux Cougourdons, je vous y ai vue, on s’est embrassés, vous avez plaisanté…Et comme toujours, vous avez noté les moindres détails du spectacle donné par le groupe, relevant ce qui va et ce qui ne va pas. Francine, c’était la quête de la perfection, le souci de l’authenticité. Vous étiez là, et déjà la maladie vous rongeait. Et pourtant, rien n’aurait pu vous empêcher d’être là, aux Cougourdons, aux rondes de Mais, à la Saint-Pierre et à toutes nos fêtes traditionnelles. Rien ne vous empêchera d’être là.
Aujourd’hui, vous êtes encore au milieu de nous. Vous êtes là dans votre Vieux-Nice. Votre esprit est parmi nous, lui qui a tant marqué tous les Niçois. C’est pour cela que je m’adresse à vous au présent.
Cet esprit caustique, râleur, mais si doux, vous l’avez porté jusque sur scène, notamment dans cette magnifique pièce de Francis, votre beau-père… cette pièce tendre et drôle, légère et profonde, tout simplement appelée Les Deux vieux. Avec Pierre-Louis, ensemble sur scène, vous êtes nos parents, nos amis, nos proches, vous portez tant de choses de nous que vous êtes nous, les Niçoises et les Niçois. Et les Niçoises et les Niçois meurent, mais Nice reste, son esprit demeure dans les siècles, d’autant plus présent qu’il est porté par des femmes comme vous.
Vous êtes là par l’esprit, et vous y resterez. Nous qui vous avons connue, nous ne vous oublierons pas. Plus tard, la présence même de Nice la Belle rappellera que sans vous et les hommes et les femmes de votre qualité, il n’est pas de transmission ou de patrimoine qui tienne. Une culture ne vit que par ceux qui la font vivre, c’est ce que vous avez fait, des années durant, et c’est ce que, par l’esprit, vous ferez encore.
On ne remercie jamais assez les gens qui œuvrent et qui se battent pour notre culture ; on ne leur dit jamais assez notre gratitude. Il est temps de le faire à nouveau : merci Francine. Voilà ce que je voulais vous dire.
A vous tous qui êtes autour d’elle aujourd’hui, et autour de sa famille, à vous tous ses amis, ses proches, les anciens de Nice la Belle, les jeunes qui en sont membres aujourd’hui, les membres de la troupe du Théâtre niçois de Francis Gag, vous tous, Niçoises et Niçois qui êtes là, je veux dire ceci : s’il est des engagements qui valent d’être vécus, ce sont ceux où l’on met une passion au service des autres.
Francine Gag a mis sa passion au service de sa ville, elle a su fédérer, organiser, structurer les bonnes volontés et les passions des autres dans un but commun, celui de faire connaître l’âme profonde de Nice et de son comté. C’est un beau sort qu’elle a choisi là, c’est un bel engagement qu’elle a pris et qu’elle a tenu, jusqu’au bout. Je vous souhaite, je nous souhaite, de savoir et de pouvoir faire de même.
Vous allez vous éloigner un peu, Francine. Pas très loin, certes, juste sur nos collines, mais vous allez quitter le babazouk, ce Vieux-Nice qui, comme l’écrit Jean-Marie Le Clézio, « serré contre son rocher blanc, vogue en paix sur la mer éternelle ».
Ce sera une vraie première fois. Vous allez nous manquer, comme vous manquez déjà à Pierre-Louis. On va se dire que vous vous êtes juste absentée, que vous avez emmené Nice la Belle vers une destination lointaine, pour faire découvrir à ses jeunes d’autres cultures et d’autres paysages. On va juste se dire que vous reviendrez dans longtemps, et on va penser à vous, pour combler ce temps.
Et surtout Francine, ne vous inquiètez pas, la culture et la tradition niçoise sont vivantes, on y veille tous.
Tous, par notre présence autour de vous, on le dit, et on le proclame.
A si revèire, Francine, et vive Nice la Belle.