"Il n'y a pas très longtemps, une quinzaine d'années au plus, que Madame Nouno Judlin est apparue dans nos féries provençales et, diable ou dieu, qu'elle a surgi au premier plan de nos mystères. On ne les imagine plus sans elle. A tout vrai rendez-vous de nos poètes, donné en rive de Durance ou du Rhône, on la voit, on l'espère, ou l'on se désespère qu'elle tarde à venir. (...) c'est Nouno qu'on voit la première, parce qu'elle est la première que l'on veut voir.
Brune, brune, mince, mince, plus vive qu'un jet d'eau et dansante comme une flamme, cette étonnante poétesse aux longs yeux brûlés que le costume d'Arles moule à ravir, avec le ruban de son petit hennin qui serpente et flotte à tous vents, la gorge nue sous la gaze et sous le fichu de la "chapelle" blanche, a fini par adopter un pas tellement prompt et des gestes si vifs qu'on ne lui voit, pour ainsi dire, jamais prendre le temps de ramener et de pincer sa jupe comme font les belles dames des Lices ou de Saint-Trophime. (...)
Elle vient de ce vieux et charmant castellet du Gourg, que ses anciens ont fait construire à Carros...
... Madame Nouno Judlin écrit une prose cristalline et la poésie la plus claire et la plus compréhensible du monde. - Ne vous y fiez pas, il y a des ans et des ans que j'ai lu son poème des "Chèvres noires sur la neige" et je ne parviens pas encore à distinguer très bien ce que peut recouvrir cette étonnante allégorie de l'innocence et du péché. Avis au lecteur, donc ! Il va se figurer qu'il lira un auteur facile, car le livre se laisse boire, pensez-y, et vous m'en direz des nouvelles. (...)
Nouno, toujours victorieuse, bondira devant nous en éclatant de rire. Nous l'interrogerons. Nous la presserons de questions que nous croirons sages. Elle continuera de rire, en refusant tout supplément d'explications sur son héroïne, à peu près comme s'il s'agissait de sa poésie. Ainsi va Nouno. Ainsi Sara. Je vous prie de vous débrouiller dans ces ténèbres pleines de soleil et de fleurs."
Charles Maurras, Préface de Sainte Sara la brune
Ed. I.A.C. Lyon - 1948
Outre son talent, Noune, subtile, facétieuse et tendre à la fois, fut amie intime et membre de la famille Gag.